Le rôle de facilitation est exigeant. Il nécessite à la fois une grande préparation méthodique et stratégique, ainsi qu’une grande capacité d’improvisation spontanée et adaptable. Les lunettes systémiques peuvent aider le facilitateur et la facilitatrice dans ces deux dimensions, c’est ce que nous allons voir dans cet article. Une préparation méthodique et stratégique Le temps entre le cadrage et le jour J de la facilitation est le moment pendant lequel les lunettes systémiques peuvent être d’une grande aide. Identifier quelles questions poser au commanditaire Les lunettes de la systémique invitent à explorer le « comment ». Et notamment comment le commanditaire en est arrivé à la demande : comment a-t-il réussi à avoir besoin d’aide ? comment a-t-il réussi à ne pas résoudre sa demande seul ? Il est possible que si demande de facilitation il y a, c’est que l’équipe et le commanditaire n’arrivent pas à répondre à leur demande. Les lunettes de la systémique seront précieuses pour explorer les potentielles tentatives de solution mise en place par l’équipe et le commanditaire pour ne pas réussir à faire par eux-mêmes. Dans le cas où la demande ne comble pas une difficulté rencontrée par l’équipe, mais est “seulement” une demande d’aide ponctuelle pour produire des livrables en intelligence collective et qui cherche une certaine neutralité grâce à la facilitation, les lunettes de la systémique peuvent ouvrir sur ce type de questions : comment l’équipe réussi à travailler en intelligence collective ? ou à l’inverse : comment dans de précédentes expériences l’équipe arrive à échouer à travailler en intelligence collective ? Ces questions nécessitent d’être adaptées au contexte, aux mots utilisés par le commanditaire pour ne pas rester trop abstraites. Cependant elles éclaireront les fonctionnements, les habitudes de l’équipe, en particulier quand il s’agit de travailler en intelligence collective, pour soit faire l’inverse des échecs passés, soit amplifier les réussites passées. Une conception stratégique L’ouverture et la fermeture Une fois le cadrage réalisé, l’intention clarifiée et l’objectif précisé, les lunettes systémiques peuvent aider à concevoir le déroulé de la facilitation. En particulier en faisant le choix de brises glace, et d’energizers qui vont au-delà de la simple mise en route de l’intelligence collective, et qui posent les bases d’un fonctionnement différent des habitudes de l’équipe. Une différence qui fasse la différence pour sortir des échecs passés, ou pour fortement amplifier les réussites passées. L’espace De plus, les lunettes systémiques portent une attention particulière aux interactions entre les personnes. Elles peuvent vous guider dans une conception spatiale différente, avec une intention stratégique précise, dans le but d’insuffler de nouveaux possibles aux habitudes de l’équipe. Les échanges Enfin il s’agit d’identifier les bonnes personnes à inviter pour que la facilitation soit un succès, non pas seulement avec un regard classique axé sur les compétences individuelles pour être capable de relever les défis, mais aussi en regardant quelles sont les interactions qui seront nécessaires pour ces défis : avec qui faudrait-il échanger ? Quelles interactions feraient la différence ? Si il n’est pas possible de les inviter, qui pourrait jouer leur rôle ? Comment l’équipe pourrait prendre soin des interactions qui ne seront pas présentes pendant la facilitation et qui sont pourtant nécessaires au succès ? Une capacité d’improvisation spontanée et adaptable C’est le jour J, pendant la facilitation les lunettes systémiques ne tiendront sur vos yeux qu’après beaucoup d’entrainement et de pratique. Néanmoins les lunettes systémiques vous offrent deux cadeaux sur lesquels vous appuyer. Le reflet systémique : faites confiance à vos ressentis spontanés Le jour J, la personne qui facilite fait partie du système, dans les interactions qui se tissent avec l’équipe, en vertu du principe de totalité, elle va ressentir des émotions qui pourront être des reflets systémiques de ce qui se joue entre les personnes. Et c’est une excellente nouvelle ! À condition de réussir à être à peu près au clair sur ses ressentis et sans se laisser déborder, ce qui n’est pas chose aisée. C’est une excellente nouvelle car vous pouvez alors compter sur les émotions qui vous traversent pour vous renseigner sur ce qui se joue dans l’équipe, et cela sans mots, sans questions, sans formulaires ! Faire, refaire mais ne pas re refaire : s’adapter Les tentatives de solution sont ce que le client a fait dans le passé pour résoudre une difficulté passagère mais qui n’ont pas fonctionné. Dans ce paragraphe, il s’agit de s’appliquer à soi-même, dans le rôle de facilitation, cette définition des tentatives de solution en temps réel ! Faire Pour savoir si une action est un échec, il faut l’avoir fait. Ainsi il n’est pas possible d’identifier une tentative de solution la première fois qu’on la fait. Refaire C’est à la seconde fois qu’on fait la même action, ou une action similaire, qu’une première boucle systémique peut s’enclencher. Mais difficile de savoir si c’est une boucle, tant qu’on n’a pas le résultat… Si c’est encore un échec, il y a fort à parier que de le re refaire mènera au même résultat ! Ainsi si on arrive à s’en rendre compte à temps, il est préférable de s’adapter, de changer de façon de faire. Par exemple, si un participant demande à clarifier la consigne après l’avoir donné, le facilitateur peut redonner la consigne, la clarifier, si ça ne suffit toujours pas, il est alors préférable de ne pas recommencer, et de s’adapter en demandant par exemple à quelqu’un qui l’a comprise de l’expliquer. Ou encore en écrivant la consigne plutôt que de la dire à l’oral. Ou encore en la mimant ! Bref ne pas re refaire ce que vous auriez déjà fait et refait. Conclusion Les lunettes de la systémique peuvent être d’une grande aide pour améliorer sa préparation et son animation. C’est pour cela que nous incluons une journée de découverte de la systémique pendant la formation à la facilitation de dynamique collective. Nous avons vu dans cet article deux exemples d’aide que les lunettes systémiques apportent dans chaque situation. Ce n’est bien sûr pas exhaustif, nous continuons d’être surpris de comment les facilitateurs et facilitatrices s’emparent de la systémique dans leur rôle. Crédit image : Conrad von Soest, Public domain, via Wikimedia Commons
Transmettre l’approche systémique Avec Karine, nous accompagnons depuis plusieurs années des collectifs de coachs Agile à muscler leurs compétences de coaching que ce soit en pratiques systémiques, avec d’autres outils, ou tout simplement en s’appuyant sur les compétences relationnelles de chacun. Un bonne nouvelle : tous les modèles sont faux ! Nous avons fait le choix de faire circuler les connaissances, les outils et les modèles en prenant le parti que tous les modèles sont faux et qu’il convient de garder une juste distance avec chacun d’eux. Quand nous disons « les modèles sont faux » nous exprimons leur incapacité intrinsèque à décrire la réalité d’une situation vécue qui sera toujours différente, plus complexe, plus riche, plus nuancée. La réalité d’une situation est insaisissable. Pour autant certains modèles auront une plus grande capacité de prédiction, ou une plus grande facilité d’appréhension en fonction de chacun, ou une plus grande efficacité à générer du changement. Par exemple, en ce qui me concerne, je suis plus à l’aise à manipuler des concepts systémiques qui évitent une essentialisation des traits de personnalité d’un individu. C’est pourquoi je me suis attaché plus particulièrement à transmettre l’approche systémique à ces collectifs, sans pour autant donner une quelconque supériorité de cette approche par rapport à d’autres. Le plus important à mes yeux étant de transmettre cette sensibilité que la réalité d’une situation est toujours plus vaste et plus riche que ce qu’on en dit, que ce qu’on en décrit, ou que ce qu’on croit en comprendre. Un collectif apprenant pour un apprentissage systémique Comment transmettre l’approche systémique ? D’abord avec humilité : quelle que soit notre expertise, un collectif en sait toujours plus qu’un individu. Notre intention est, avant de transmettre des connaissances, de créer les conditions pour qu’émerge un collectif d’apprenants incluant formateurs et participants. Ensuite en prenant le parti que l’apprentissage est lui-même systémique. Les relations, les interactions, les expériences, et les émotions vécues pendant la formation donnent vie au contenu. Enfin en attrapant chaque situation vécue, chaque ressenti, chaque parole comme une occasion de mettre en conversation et de forger ensemble le savoir collectif. Finalement le contenu se résume à une dimension historique (transmettre l’histoire des concepts de la systémique) et à la description des outils, grilles de lecture ou modèles qui seront mis en pratique, discutés, clarifiés, à travers des exercices prévus et les situations spontanées. À noter que les maladresses, les inconforts, les ratés, sont souvent des sources d’apprentissages très riches, en particulier de la part des formateurs quand on a l’énergie nécessaire à s’en saisir et à « jouer » avec la maladresse. Des boussoles pour naviguer en territoire inconnu Quand nous avons conçu une suite au module de découverte de l’approche systémique, nous avons voulu ajouter des éléments historiques et des définitions de certains concepts, mais avant tout, nous avons souhaité inviter les participants à faire de la place à leur intelligence relationnelle autant qu’à leur maîtrise des outils. Les deux journées d’approfondissement se terminent en une invitation à travailler ses boussoles intérieures (son éthique d’accompagnant, son alignement, sa juste distance par rapport aux outils et à la vérité). Certains participants plus avides que d’autres d’outils et de modèles ont pu être surpris de cette ouverture, nous avons la conviction que notre invitation s’adresse davantage encore à ceux-ci même. Je ré-entends Teresa (Teresa Garcia-Riviera a été ma formatrice à travers son école Circé) insister et ré-insister sur le fait qu’un bon thérapeute en systémique stratégique s’appuie autant sur son intelligence relationnelle que sur sa maîtrise de la technique. Son intelligence relationnelle lui permet de naviguer en territoire inconnu, celui de la situation vécue à chaque instant, insaisissable et toujours changeante. Sa maîtrise de la technique lui permet de poser les bonnes questions, c’est-à-dire les questions qui permettent à son interlocuteur de cheminer non pas au hasard, mais de façon stratégique vers de nouveaux possibles. L’approche systémique stratégique est cette symbiose entre l’intuition relationnelle et la maîtrise de la technique. J’ai plaisir à transmettre cela et à être fidèle à ce que m’a appris Teresa. L’image associée à cet article (A. Konby (?), Public domain, via Wikimedia Commons) est issu du Traité de l’homme (1648), de René Descartes qui a développé l’une des premières conceptions réductionnistes de la vie, appliquée aux plantes et aux animaux. À l’image du canard mécanique de Vaucanson, le comportement animal était selon lui intégralement réductible à l’effet d’un mécanisme physique. Une des boussoles que nous explorons dans la formation fait référence à cette image et au réductionnisme.