L’oiseau est sorti de nulle part. Il s’est envolé là, juste devant moi, s’éloignant au ras du sol dans le prolongement du sentier. Je l’ai aussitôt imaginé dans mon viseur, anticipant les écarts prévisibles de sa trajectoire. Les quelques secondes qu’il a mis à s’échapper ont semblé comme prises dans le tamis d’un temps épaissi. Et dans cette poignée de battements d’ailes au ralenti, ma lucidité était décuplée et ma détermination totale. J’aurais eu un fusil, je l’aurais abattu.
Mais je n’avais pas de fusil. Je n’en ai jamais eu. J’abhorre la chasse, et à peine moins la pêche. Il faut peu me pousser pour penser que chasser est une survivance d’une humanité primale. Car il ne s’agit plus depuis longtemps dans nos contrées surpeuplées et sur-bâties de tuer pour survivre ou de prélever un tribu pour communier avec une nature à laquelle on sait appartenir, notions bien éloignées des pratiques de chasse en vigueur désormais. Ce n’est plus qu’un loisir. Et qu’ôter la vie puisse être une source de plaisir m’est profondément étranger.
Pourtant, comme venant du tréfonds de moi, une pulsion avait surgi. Dans le cœur de cette forêt, au sein de cette nature à peu près préservée, baigné de ce calme qu’offrent les promenades loin de la ville, paisible en mon for intérieur, recueilli presque, il a suffi que cet oiseau fuit sous mes yeux pour que la première pensée qui me traverse soit celle d’un beau carton à faire. Un scénario tout prêt était là, qui s’est imposé à moi, avec une étonnante précision, une surprenante disponibilité. Me délecter de la beauté de l’instant, cette fois-là, n’a pas même été une option.
Je ne culpabilise pas, mais je m’interroge. Réflexe atavique ? Culture télévisuelle ou influence vidéaste ? Certes, la pensée de l’acte n’est pas l’acte, et être « civilisé » consiste justement à rester dans le cadre d’un contrôle social appris. C’est pourquoi, en démocratie du moins, nulle pensée n’est interdite, et seuls les actes sont susceptibles d’être considérés comme répréhensibles. Être humain, non comme un état mais comme une qualité d’être, consiste-t-il à savoir réfréner ses instincts et ses pulsions ? Ou peut-on espérer atteindre un état d’être qui soit au delà d’eux ?
Le psychologue, le sociologue, le pénaliste, le philosophe et tant d’autres défendront la première thèse, au moins par défaut. Le méditant préférera croire en la seconde. Bien des méditations m’attendent encore…