Un des plaisirs de l’été à la campagne, quand toute la tribu est réunie, c’est un super repas le soir sur la terrasse dans la chaleur du jour finissant. Certains cuisinent, qui l’entrée, qui le plat principal, qui le dessert (ou les desserts les années fastes), d’autres préparent les cocktails de l’apéro (un rituel incontournable). Moi, c’est plutôt le choix des vins et… la logistique. Cette année, on était tellement nombreux qu’il a fallu monter une autre table de la cave. Un jeune de la tribu, aimable et disponible, qui me voit gravir les marches, ralenti par le poids du meuble d’époque en chêne massif, me demande :
— Tu as besoin d’aide ?
— J’ai l’air si vieux que ça et au bout de ma vie ? Non, merci, ça va, rétorqué-je, une pointe d’agacement dans la voix.
Ma table sur la terrasse, je commence à déplier les rallonges. Un autre jeune, toujours aussi aimable et disponible, me demande ingénument :
— Comment je peux t’aider ?
— À ton avis ? Qu’est-ce qui peut bien manquer autour d’une table et qui est resté en bas dans la cave ? questionné-je allusif et décidément de plus en plus mal embouché.
Je m’installe enfin pour nettoyer les girolles ramassées la veille. Un troisième jeune, aimable et disponible (comme tous le jeunes ici, il faut bien reconnaître), s’installe à mes côté, prend un papier journal, un couteau, et me demande :
— Tu ne les passes plus d’abord dans l’eau ?
— Non, j’ai changé, je nettoie à sec et passe dans l’eau seulement les plus sales, c’est plus rapide. Merci de ton aide et… de ton observation, ajouté-je avec reconnaissance.
Cette scène (à demi fictive) m’a fait réfléchir. Pourquoi suis-je toujours agacé par ces personnes, pétries pourtant des meilleures intentions, qui me demandent si j’ai besoin d’aide ou comment elles peuvent m’aider, et combien à l’inverse je suis touché par celles qui prennent des initiatives, quelles soient heureuses ou maladroites, sans que j’aie besoin de rien dire ni demander ? J’ai tout à coup pris conscience du lien entre mes réactions épidermiques et certains principes de la facilitation.
Lors d’une facilitation à plusieurs facilitateurs/facilitatrices, un réflexe que l’on trouve souvent chez les débutant·es, est de venir en aide au facilitateur ou à la facilitatrice leader sans que celui-ci ou celle-ci n’en ait fait la demande. L’aide est souvent motivée par la crainte chez le ou la partenaire d’une défaillance, d’un oubli, d’un manque de clarté dans la consigne, d’une incapacité à gérer une situation particulière avec un groupe de participants. Les effets de ces aides intempestives et non sollicitées sont invariablement les mêmes : déstabilisation du facilitateur ou de la facilitatrice leader et confusion chez les participants quant à la personne détentrice du cadre et du processus, avec pour effet un désengagement plus ou moins important du facilitateur ou de la facilitatrice et de tout ou partie du groupe de participants. Ce travers avec ses conséquence est si fréquemment observé qu’il m’arrive de prodiguer ce conseil aux débutant·es en facilitation : Ne venez en aide à la personne leader que si elle vous le demande !
Lorsque je dois parler du codéveloppement, ce qu’il permet, j’aime à le présenter comme une méthode pour apprendre à aider et à être aidé. Exposé de la situation, clarification, contrat, consultation, plan d’actions. La question « Comment je peux t’aider ? » n’est jamais posée car c’est précisément l’objet de chaque session. L’aide vient par le questionnement (Où vas-tu avec la table ? Que reste-t-il à monter de la cave ? Comment laves-tu les girolles ?) et par les suggestions de solutions après la phase de clarification (Je vais débarrasser l’endroit où la poser, Je vais aller chercher les chaises à la cave, Je vais laver les girolles avec toi).
Aussi, si je ne demande pas d’aide pour la tâche que je suis en train de réaliser, c’est que je n’ai pas besoin d’aide. Mais toi qui est aimable et disponible, pétri·e des meilleures intentions, si tu veux m’aider au-delà de la tâche présente, je te propose de chercher comment aider en questionnant d’abord la situation et en prenant ensuite des initiatives fondées sur ton observation. Et franchement, peu importe tes actions, petites ou grandes, elles me mettront toutes de bonne humeur !