Sur la base de l’expérience de terrain : la médiation corporelle, de quoi il s’agit et ce qu’elle apporte dans les pratiques d’accompagnement comme le coaching professionnel, la facilitation des dynamiques collectives, la formation.
Médiation corporelle, qu’est-ce que c’est ?
Au sens large, pour le praticien, il s’agit de considérer et de tenir compte du corps de la personne qu’il accompagne.
Disons qu’il y a des considérations incontournables et intégrées de fait. Par exemple il est nécessaire de disposer d’un lieu, d’une pièce à bonne température, avec un éclairage convenable, etc. Et puis d’une chaise, d’un fauteuil. De l’eau, un verre, une boîte de mouchoirs, parfois du papier et des crayons. Sans en avoir l’air, tous ces éléments tiennent compte du fait que la personne accompagnée vit dans et vient avec son corps !
On pourrait en rester là. Ce sont souvent des considérations suffisantes. Mais déjà, avec ces éléments incontournables, selon l’approche du praticien ou à certaines phases, il est possible de « jouer » par exemple pour fluidifier ou soutenir davantage le processus d’accompagnement. Et oui, pourquoi ne pas jouer avec le confort de la chaise par exemple ? Je me rappelle les propos d’un de mes mentors qui nous suggérait : « Si vous trouvez que votre client a tendance à s’assoupir et que cela dessert le travail en cours, vous pouvez lui proposer de prendre des vacances et de revenir quand il sera plus en forme. Vous pouvez aussi lui indiquer, plutôt que votre fauteuil le plus confortable, ce vieux tabouret de tout bancal, voire de rester debout pendant la séance ! ». Dans cette situation caricaturale (quoi que…) le corps dudit client devient un média pour l’aider à se maintenir en état d’éveil.
Une autre façon de faire appel au corps, c’est d’inviter la personne accompagnée à constater ou à se questionner sur ce qui se passe physiquement pour elle. D’où viennent vos douleurs ? Votre pied qui bouge là, que vous dit-il ? Quand vous pensez à votre réunion codir de la semaine prochaine, avec le sujet délicat que vous allez aborder, que ressentez-vous physiquement ? Cette fois-ci, on pourrait dire que le corps de la personne accompagnée est sollicité comme un complice entre elle et le praticien. Un média complice. Une façon pour la personne accompagnée d’obtenir des informations sur son état, ses dispositions, sur ce qui se mobilise en elle, dont elle pourrait tenir compte pour élaborer sa stratégie par exemple.
De fait, pour stimuler, ou complice, on pourrait donc dire qu’il existe « des » et pourquoi pas une infinité de formes de médiations corporelles, avec divers intérêts, divers effets recherchés, pour aider, améliorer, rendre plus efficiente telle ou telle pratique d’accompagnement.
Je parle plus loin d’une médiation corporelle qui considère la personne tout entière. Pour les besoins de l’écriture, je la nommerai médiation corporelle intégrative.
En quoi la médiation corporelle diffère des autres approches ?
La réponse dépend de ce que nous appelons « approches ». Je différencierais pratiques et approches. Ces deux termes englobent des champs d’ordres différents. Pour donner des exemples de pratiques je citerais : le coaching professionnel, la facilitation des dynamiques collectives, le groupe de codéveloppement professionnel, la formation. Des exemples d’approches seraient : pédagogique, intellectuelle, psychologique, cognitive, corporelle, sensorielle, logique, etc.
Mixer les pratiques peut s’avérer compliqué mais pas impossible. On peut imaginer une séquence pédagogique dans une séance de coaching. Et vice versa. Par contre on peut dire à coup sûr que la plupart des pratiques font appel à plusieurs approches. Donc sollicitent plusieurs aspects et facultés de la personne. Par exemple pour apprendre du vocabulaire dans une langue étrangère, on va (faire) écouter et prononcer chaque mot avec trois tonalités : chuchotée, parlée, fredonnée. Ou encore, tenir une conversation sur un sujet particulier tout en prenant un verre ou en réalisant une tâche simple. Dans ces deux exemples de la pratique de l’enseignement, nous retrouvons au moins les approches pédagogique, intellectuelle, sensorielle et relationnelle.
Selon la demande et le type d’intervention, il m’arrive de concevoir et de faciliter des ateliers entièrement basés sur l’approche par médiation corporelle, ou d’hybrider avec des apports théoriques ou pédagogiques, ou encore de solliciter la mise en jeu corporelle de façon ponctuelle ou fugace, sans nécessairement l’expliciter si ce n’est pas utile.
Bref, je dirais que, dans mon approche, la médiation corporelle diffère des autres approches car je considère que le corps contient tout de la personne. Par conséquent, par la médiation corporelle, je m’adresse et je sollicite la personne tout entière. Une proposition que je ferais, une indication que je donnerais, mettra simultanément en mouvement tous les aspects, physique, cognitif, émotionnel, etc, de la personne. Je décris plus loin une façon de faire cela.
De l’intérêt de la médiation corporelle « intégrative »
À partir de maintenant je parlerai d’une médiation corporelle que je qualifie d’intégrative, qui considère la personne tout entière. C’est-à-dire avec une considération non fragmentée de la personne. Dans cette approche, la personne n’a pas des idées comme-ci, une compréhension comme ça, des émotions ci, une attitude comme ça, une histoire telle que, un projet ceci, un profil X, une tendance Y, etc. Dans cette approche dite intégrative, la personne ou le groupe, sont considérés comme un tout. Ses idées, sa compréhension, ses émotions, etc, sont les différentes formes et couleurs d’un paysage qu’il s’agit de contempler tout entier, d’un seul tenant. Considérer la personne, le groupe, comme un tout, c’est « voir d’un seul tenant tous en même temps tous les aspects de cette personne, du groupe » et, accompagner ce qui se passe là maintenant en eux. Ce qui se passe à l’intérieur d’eux, y compris comment ils vivent ce qui se passe en eux, comment ils pourraient avoir envie de le vivre ou s’en saisir différemment.
Autrement dit, cette médiation corporelle intégrative, est une façon de considérer le corps de la personne comme le résultat, la convergence actuelle de toute son histoire, de toute sa situation ici et maintenant, de tout le projet qu’elle est là en train d’actualiser. En ce sens, le corps est considéré à la fois comme le réceptacle et la manifestation de ce que la personne vit, de ce qu’elle est, comme elle est, et de ce qui est en train de se passer en elle, dont elle a plus ou moins conscience. C’est à ce « tout là » que s’adresse le praticien qui s’emploie à la médiation corporelle.
L’intérêt de la médiation corporelle intégrative est pluriel. Premièrement : liberté et autonomie. Dans la pratique, concernant la proposition faite à la personne d’expérimenter quelque chose, c’est bien la personne qui enclenche son expérimentation. Ce n’est pas le praticien qui fait quelque chose sur la personne. A part la soutenir si besoin, ce qui se fait « à côté » plutôt que « sur » la personne. Deuxièmement : globalité et immédiateté. Ce que la personne expérimente va impacter tout son paysage. Tout ce qu’elle est. En une seule fois, en un instant, c’est immédiat. Et elle va s’en rendre compte par elle-même. Troisièmement : ancrage et pérennité. Ce que la personne aura expérimenté sera intégré spontanément, elle saura le retrouver quand bon lui semblera. Quatrièmement : respect et changement. Cette découverte n’est pas nécessairement spectaculaire, mais tout son paysage étant au moins légèrement modifié en accord avec ses dispositions du moment, il en découlera que toutes ces actions ultérieures auront une teinte légèrement différente. Ce qui peut produire des changements notables à plus ou moins long terme dans sa façon de faire, dans sa façon d’être, dans toutes ces relations, dans son quotidien, ou dans à sa situation.
Pour illustrer ces intérêts j’utilise souvent la métaphore de l’équilibre en vélo. Si vous le voulez bien, remémorez-vous le moment, ou de la période de votre vie, où vous avez perçu en vous la sensation d’équilibre sur votre vélo, si besoin, prenez votre temps … … …
Revenez à maintenant là tout de suite, ressentez en vous cette sensation d’équilibre et constatez par vous-même que, même sans vélo, vous savez où elle se situe. Vous la sentez là quelque part en vous. N’est-ce pas ? Oui, vous pouvez la recontacter, instantanément. Maintenant. Essayez, si vous voulez.
1. Ce jour-là, vous étiez sans doute accompagné, mais c’est bien vous qui avez enclenché le processus d’équilibre en vous. 2. Le moment de votre prise de conscience de votre équilibre s’est produit une fois pour toutes, et a changé de façon indélébile toute votre perception de vous-même dans votre corps. 3. Depuis le moment de cette découverte vous avez pu retrouver votre équilibre à chaque fois que vous êtes monté sur un vélo, sans même vous demander si vous saviez encore le faire. 4. Cette expérience d’équilibre à vélo a modifié toutes vos représentations et toutes vos attitudes au regard d’une quantité incroyable de choses en vous et autour de vous.
Comment « ça marche » la médiation corporelle ?
En fait ça marche très bien ! En tout cas dans le corps des personnes accompagnées ça marche très bien. Ce qui doit nécessairement être en bon état de marche, c’est la perception de l’accompagnant et sa capacité à indiquer quoi et comment faire. C’est vraiment et uniquement à cet endroit-là de la médiation corporelle qu’il s’agit de développer ses capacités pour l’accompagnant. Percevoir chaque personne ou le groupe accompagné comme une seule « chose », en une seule perception, et à partir de cette perception uniquement, indiquer quoi et comment faire. Oui, c’est là que se loge la question de « comment ça marche ? » la médiation corporelle.
Ce qui se passe dans le corps de la personne reste au final un certain mystère. Et de mon point de vue c’est très bien ainsi. Par contre, en tant qu’accompagnant, je dois absolument me rendre compte de ce qui se passe en moi. Et plus précisément, je dois discerner dans ma sensorialité, les sensations qui viennent de mon corps de celles qui sont induites par la relation avec la personne et ce à chaque moment de l’accompagnement. Peut-être est-ce plus facile à dire qu’à faire, mais à faire comprendre ça devrait le faire. Imaginez-vous avec un ballon de baudruche à l’intérieur de vous. Toutes les sensations que vous sentez à l’intérieur du ballon sont celles de votre corps. Certaines sensations que vous sentez à la surface du ballon peuvent venir de la relation avec la personne que vous accompagnez, donc potentiellement elles peuvent esquisser ce qui se passe pour elle, en elle.
Oui je sais, dit comme ça, ça à l’air d’être de l’à-peu-près de beaucoup de doute. Mais, avec de l’équipement, de l’entraînement et une bonne connaissance de son équipier, on arrive facilement à des perceptions étonnantes et particulièrement aidantes pour accompagner par ou avec, un peu de médiation corporelle.
L’équipement ce sont nos cinq sens et surtout notre attention, comme un sixième sens, qui permettra peut-être de capter le septième, le ressenti, le huitième, l’empathie, et le neuvième, l’intuition, etc. L’entraînement ce sont toutes les pratiques et techniques qui musclent assouplissent et jouent avec nos sens. Il existe tant de pratiques, culturelles, sportives, culinaires, bien-être, artistiques, etc. Mon conseil : choisissez les plus simples et les plus ludiques pour vous. Et surtout, faites comme vous le sentez ! Si vous débutez, commencez plutôt par jouer avec vos sens dans des situations avec peu d’enjeu dans la relation. Enfin l’équipier, évidemment c’est soi-même, indulgence, doute, confiance, humour, challenge, chacun sa façon de faire équipe avec sa sensorialité, sa sensibilité, son intériorité.
Un exemple d’exercice ludique pour percevoir une personne d’un seul tenant en utilisant vos sens : dans l’ordre qui vous convient, regardez-la, détaillez et nommez les détails. Puis observez tous les détails en même temps comme lorsque vous contemplez un beau paysage. Pour ladite personne, à vos débuts, ça pourrait lui faire bizarre de se sentir observée de la sorte ! Mais avec l’entraînement, cette façon d’observer s’inscrit dans votre registre d’attitudes naturelles. Ensuite, tendez l’oreille, écoutez les mots, le sens des phrases, les tonalités, la texture de sa voix, les froissements de ses vêtements. Puis, écoutez d’un seul tenant tous les détails auditifs qui proviennent d’elle, comme lorsque vous écoutez un orchestre symphonique. Maintenant que vous avez une perception du paysage et perception de la musique, associez les deux perceptions pour n’en faire qu’une. Écoutez-regardez en même temps. Puis faites de même avec vos autres sens. Avec le goût il ne s’agit pas d’aller goûter la personne ! Mais vous pouvez avoir des saveurs gustatives… expérimentez. Les odeurs font aussi partie de la danse. Quant au toucher, accueillez votre ressenti, pas celui qui vient avec des mots, mais celui que vous ne percevez qu’avec des sensations en vous. Au final, vous percevez toutes vos sensations d’un seul tenant, et c’est avec votre attention que vous pourrez commencer à vous intéresser aux sensations à la surface du ballon de baudruche…
Normalement, au cours de cet exercice au début, vous devriez ne plus très bien comprendre ce qui passe et/ou ce que vous percevez. Comme une perte de repère. Zone de turbulence. C’est bon signe. Cela veut dire que vous n’êtes plus autant attentif à vos représentations, vos critères de classifications, votre processus cognitif permanent de comparaison et d’identification de ce que vous observez ou entendez. J’aime me dire que notre cerveau, notre cœur et notre corps réapprennent à coopérer… La perte momentanée de contrôle des sens est un passage nécessaire pour découvrir un autre équilibre dans votre perception. Votre attention flotte un peu, et petit à petit émerge une autre représentation, uniquement sensorielle, pas de mots, rien qu’une sensation, a priori un mélange d’un seul tenant de perceptions de vous-même et de la personne tout entière en face de vous. C’est cette sensation là, un peu nébuleuse, que vous pouvez aussi suivre avec votre attention. Et avec suffisamment d’entraînement, vous pouvez rester en contact avec cette « sensation d’un seul tenant » et avec votre compréhension habituelle, plus logique, objective, rationnelle. D’une part pour commencer à discerner les sensations qui viennent de votre corps de celles qui pourraient venir de l’autre personne, d’autre part pour indiquer à la personne que vous accompagnez, quoi et comment faire pour qu’elle rencontre ce qui se passe pour elle et en elle à ce moment là, et qui pourrait peut-être l’aider à passer un cap, prendre conscience de quelque chose qui ne sera peut-être évident que pour elle, et pourquoi pas pour qu’elle trouve un moyen en elle de s’engager dans son processus de transformation, si tel est ce qui se propose pour elle.
Dans mon approche, à cet endroit là, il faut, vraiment être très humble et l’aide consiste à laisser la personne découvrir par elle-même. Ce qui n’est pas de tout repos ni sans prise de risque pour lui proposer des mouvements, des respirations, des façons de poser son observation, etc.
Après… chacun sa méthode. J’obtiens des résultats puissants (pas spectaculaires ni extraordinaires, mais plutôt simples et directs) en aidant les personnes à prendre conscience de ce qui se passe en elles. Comme des repères ou des processus efficients qui se produisent en elles. Comme l’équilibre à vélo ! Alors voilà, que diriez-vous d’une médiation corporelle qui aiderait à identifier et s’approprier des repères physiques, des ressentis, qui serviraient par exemple : à rééquilibrer un inconfort émotionnel dans un futur rendez-vous à fort enjeu ; à enclencher une prise de conscience sur un savoir faire relationnel déjà disponible en vous ; à entraîner des postures relationnelles telles que l’empathie, l’assertivité, le leadership ? Des repères et des processus, spontanément reconnus par la personne accompagnée, acquis pour elle, réutilisables et adaptables à sa volonté…
Qui peut proposer une approche par la médiation corporelle ?
Tout le monde. Cela va de la maman qui prend dans ses bras son bébé, au coach sportif en passant par le collègue de bureau, et j’en passe. Les animaux sont aussi des alliés efficients et souvent troublants, voire bouleversants. Je pense à l’équi-coaching, la plongée avec les dauphins, le comptage des oiseaux, etc. Certaines activités avec des végétaux peuvent aider par médiation corporelle également, cultiver un potager, étudier la botanique, planter des arbres ou grimper dedans, etc. Et en général toutes les activités en milieu naturel. En fait, je dirais que la médiation corporelle est accessible à tous, puisque nous vivons tous dans un corps. Il n’y a que de limite que la profondeur, le discernement et l’agilité que chacun connaît avec sa sensorialité.
Vous aurez sans doute remarqué que j’en reste à l’aspect « perception pour accompagner » par la médiation corporelle et que je n’aborde pas l’aspect « indiquer quoi et comment faire afin d’accompagner » par la médiation corporelle. Aussi je fais l’impasse sur « qu’est-ce qui se passe dans le corps » accompagné par médiation corporelle, il faudrait pouvoir percevoir depuis l’intérieur non ?!? Il me semble que l’intérêt « pluriel » de la médiation corporelle est posé et que les premiers pas vers une perception sensorielle favorable à l’accompagnement sont déjà conséquents. Matière à décantation au moins pour le rédacteur !
Ce n’est pas une mince affaire (pour moi) que de mettre des mots compréhensibles, logiques et pragmatiques, sur une expérience sensible, sensorielle et non moins technique qui ne se vit qu’au moment présent. Ceci dit, une prochaine fois, je m’exercerai sûrement à écrire ici comment je fais pour « indiquer quoi et comment faire » afin d’accompagner par la médiation corporelle. Il me faudra repartir de la perception sensorielle, en tout cas de mon approche nécessairement singulière…
Quoi qu’il en soit, je vous souhaite de belles découvertes en vous et dans vos accompagnements, et si le cœur vous en dit, partagez vos questions, vos échos, vos trucs et astuces, nous sommes toujours partants chez Développer les talents pour nous enrichir des différences !
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