« Comment l’intelligence artificielle peut-elle aider à développer l’intelligence collective ? » Telle est la question qui a surgi en fin de repas un soir du mois d’août, les esprits chauffés par la chaleur de cette longue journée d’été, encore forte à cette heure (à moins que ce ne fût par l’alcool de poire), comme une gentille provocation, une façon d’assurer le débat en triant sur le vif les pour et les contre, sans autre but que d’animer la conversation, moins dans l’attente d’une réponse que pour le seul plaisir de parler, de se parler. — « Et si on posait la question à ChatGPT ? »
Avec sa courtoisie habituelle, voilà ce que le si jeune et pourtant déjà illustre robot conversationnel a répondu :
L’intelligence artificielle peut contribuer au développement de l’intelligence collective de plusieurs manières en facilitant la communication, en stimulant la réflexion critique et en fournissant un accès à une large gamme d’informations.
Suivaient neuf propositions, toutes plutôt sensées, qui allaient de la facilitation de la communication à la génération d’idées et de solutions, en passant par l’apprentissage collaboratif et l’élargissement de la perspective. ChatGPT concluait son bref exposé par :
L’intelligence artificielle peut contribuer à développer l’intelligence collective en tant qu’outil de communication, de réflexion et d’accès à l’information. Cependant, il est important de rester conscient de ses limites et de son potentiel biaisé, et de l’utiliser de manière complémentaire à l’intelligence humaine pour obtenir les meilleurs résultats.
Oui, ce dernier paragraphe est bien sorti du ventre (?) de la machine, ce soir-là ! ChatGPT serait-il un vrai modeste, qui ne se voit que comme complément de l’intelligence humaine ? Ou l’a-t-il appris ? Ou… lui a-t-on dit (et fait dire) qu’il l’était ? M’est revenu tout à coup cet échange vieux de plusieurs mois, lorsque mon ami E., amoureux comme moi de la méthode Lego Serious Play, chercheur infatigable de sens, malaxeur de mots et d’idées, m’a demandé sur Whatsapp, avec sa malice coutumière, ce que je pensais de cette phrase :
Il est possible de dire que l’utilisation de nos mains pour manipuler des objets peut faciliter notre réflexion en aidant à mieux comprendre les concepts, en activant différentes régions du cerveau, en se concentrant et en se détendant, et en générant de nouvelles idées.
Je lui répondais que, peut-être, tout ça était possible, mais que la manipulation [des briques Lego, car il s’agissait bien de cela] avait surtout pour effet de contraindre le cerveau à se concentrer sur la construction et qu’il répondait en tâche de fond à la question posée, ce qui facilitait le lâcher-prise et donc la parole authentique. Et E. de s’exclamer, un brin exalté : « Oh p*** ça c’est du lourd ! Il en aura fallu des échanges pour que tu me sortes cette déclamation magnifique, pour que je reçoive enfin une réponse parfaite comme celle-là. » Avant de révéler que la phrase plus haut était une production de ChatGPT et de conclure : « Tu te pointes pour prouver que l’Homme dépasse toujours la machine et pour encore longtemps ! »
Ainsi, des mois plus tard, dans son avertissement conclusif à l’adresse de ses utilisateurs, ChatGPT avait-il repris à son compte cette idée qu’il était au service de l’intelligence humaine et qu’en aucune façon, il n’avait la prétention de s’y substituer. Que cette phrase soit un apprentissage de la machine ou bien une mise en garde imposée par le législateur, peu importe, au fond. Elle dit très simplement ce que l’intelligence artificielle dite « générative » comme ChatGPT est : un formidable outil à disposition de toutes et tous, facilitateurs/trices d’intelligence collective ou pas, pour « la facilitation de la communication, la stimulation de la réflexion collaborative, le partage d’informations et de connaissances, la génération d’idées et de solutions », et bien plus encore !
Alors que la calculette s’est imposée depuis bien longtemps dans nos usages au quotidien, que les outils de correction orthographique se sont installés sans trop se faire prier sur nos téléphones portables, qu’attendons-nous pour faire de cette intelligence artificielle générative, un compagnon de nos activités intellectuelles et créatives ? D’où nous vient cette réticence à solliciter une machine quand il s’agit de produire des idées, un texte, un article, et plus encore si le matériau est humain et l’intelligence, collective ? Car vraiment, faut-il avoir peur de ChatGPT ? Posons donc la question au principal intéressé :
Il est sage d’adopter une approche nuancée envers ChatGPT et les technologies similaires. Il est important de comprendre leurs capacités et leurs limites, d’exercer la prudence lors de l’interprétation des réponses générées et de prendre en compte les implications éthiques. Plutôt que de craindre ces technologies, il est préférable de les aborder avec une compréhension claire de leur fonctionnement et de leur utilisation appropriée.
Dans un petit exercice de projection temporelle, vous pouvez remplacer « ChatGPT » par « calculette » dans le texte plus haut. Si la réponse fonctionne très bien ainsi, jusqu’aux « implications éthiques » (songez seulement aux calculettes longtemps interdites pendant les épreuves de mathématiques), sans doute serez-vous frappés par la prudence de la réponse, la somme de précautions qui sont mises en avant, depuis bien longtemps intégrées, assimilées, implicites lorsque l’on sort la calculette (ou plutôt l’app Calculette du smartphone) de notre poche. Et si dans 20 ans, cette phrase résonnait pour ChatGPT comme elle résonne aujourd’hui pour la calculette ?
Alors, qu’attendons-nous ? Dans notre vie de tous les jours, dans notre activité professionnelle, dans nos loisirs, dans notre vie sociale ; dans nos réflexions, nos créations, nos productions intellectuelles ; dans nos échanges, nos questionnements, nos apprentissages ; dans notre facilitation de l’intelligence collective : jouons à chat !
Crédits : merci à Ronron pour la pose et Maxime pour la photo ; et merci à ChatGPT pour les citations authentiques ! 😉