Vivre ce que l’on veut ou exprimer la vie que nous sommes ?
Jérôme a demandé à son entreprise un coaching professionnel pour développer son impact dans l’exercice de sa fonction de cadre sup. Il veut dépasser ce qui l’en empêche pour mieux gravir les échelons.
En tant que coach professionnelle, j’ai appris qu’« il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va ».Alors on a fixé des « objectifs » conformément à la déontologie de notre métier.
Dans l’imaginaire collectif, une promesse fallacieuse, que le coaching renforce, influence nos orientations : L’idée qu’on peut « vivre la vie que l’on veut », façonner notre existence à l’image de nos désirs, à coups de volontarisme, d’outils et de plans stratégiques. La loi de l’attraction,[1] mal comprise, a renforcé cette représentation.
A cela s’ajoute, d’autres injonctions très en vogue : « Sois authentique », « Ose être toi-même », « Exprime qui tu es vraiment ».
De quoi parle-t-on ?
Derrière cette quête d’authenticité, une confusion majeure s’est installée. On confond souvent l’expression de soi (le “moi”) avec l’expression du Soi (4). Or, tout ce qui est spontané n’est pas nécessairement juste. Tout ce qui est sincère n’est pas toujours aligné. Tout ce qui est vrai dans l’instant ne sert pas forcément la vérité de notre être. Et tout ce qui est “voulu” n’est pas au service de notre évolution.
D’où viennent nos désirs ? De notre être profond ou des conditionnements sociétaux et inconscients ? Encore une fois, une confusion s’insinue entre « être responsable de sa vie » et « maitriser » sa vie. L’obsession du « je veux » n’est souvent qu’une manifestation des aspects blessés ou conditionnés de notre personnalité (appelés l’ego ou “moi”) : une tentative de contrôle sous prétexte de liberté.
Mon avis, est que c’est ici que s’insinue la grande confusion : choisir sa vie n’a jamais voulu dire la contrôler. Oui, nous créons notre réalité (je choisis consciemment ou inconsciemment) – mais pas comme des démiurges imposant leur volonté au monde. Nous la créons par nos postures, nos ouvertures, nos réponses à ce qui advient. Choisir, au sens profond, ce n’est pas tordre la vie à notre image, c’est reconnaître l’invitation du réel et mieux déterminer la façon dont nous y répondons. Répondre avec justesse, se mesure aux fruits et à la joie (qui n’est pas équivalent au plaisir) qui résultent de l’action.
« L’homme agit toujours selon les lois nécessaires de sa nature ; il ne suit pas un libre décret de la volonté. » – Spinoza[2] (Éthique).
Loin du fantasme de toute-puissance, je crois aujourd’hui que la véritable liberté n’est pas d’obtenir ce que l’on veut, mais de s’accorder à ce qui est. La vie ne se plie pas. Elle s’invite en nous. Elle nous traverse. Et grâce à elle, nous dévoilons petit à petit des aspects de notre être. D’ailleurs ce sont souvent les crises, qui nous permettent de découvrir qu’en nous, il y a plus grand que nous.
La maturité, ce n’est pas chercher à vivre la vie que l’on veut, mais exprimer pleinement la vie que nous sommes appelés à être.
Ce n’est pas une soumission, c’est une écoute. Loin d’un projet de conquête, c’est une posture d’accueil. Ce que Heidegger appelait le Gelassenheit, ce lâcher-prise radical face à l’être : « L’homme n’est pas le seigneur de l’étant. L’homme est le berger de l’Être. » [3].
En résumé, là où vouloir sa vie génère une crispation, Être la vie est une danse.
La question est donc simple, mais vertigineuse : êtes-vous encore en train d’essayer de maîtriser votre vie sous couvert de liberté ? Ou commencez-vous à écouter ce qui, en vous, souhaite advenir ?
Au fait, qu’est-il advenu de Jérôme ? Il a dit « Oui » à un projet émergent dans son organisation, au service de l’écologie. Un appel intérieur dit-il en souriant.
[1] Loi de l’attraction : La loi de l’attraction fonctionne comme un aimant. Elle repose sur un principe simple, on attire ce sur quoi on porte notre attention en émettant une certaine émotion. C’est l’idée que l’on attire l’énergie que l’on dégage soi-même.
[2] «Ethique », Spinoza, ed Gallimard Foliot essais (1994)
[3] « Lettre sur l’humanisme », Martin Heidegger , ed Aubier (1992)
(4) le Soi selon JUNG est l’archétype de la Conscience (le centre de l’être) et contient tous les contraires. Le rapport du Moi au Soi est décrit par Jung soit comme celui de la Terre tournant autour du Soleil, soit comme celui d’un cercle inclus dans un autre cercle de plus grand diamètre, soit encore comme le fils par rapport au Père. En tout humain, le Soi a un processus autonome. faire Un avec le Soi est le processus dit d’individuation auquel nous sommes tous invités.